LA VIEILLESSE DANS TOUS SES ETATS : ENJEUX, PARADOXES ET PERSPECTIVES
REGARDS CROISES EN CIVILISATION ET LITTERATURE
Université Jean Moulin - Lyon III---Centre de recherche : I.E.T.T.
23-24 janvier 2014
L’IETT (Institut d’Etudes Transtextuelles et Transculturelles), centre de recherche de l’Université Jean Moulin - Lyon 3, compte parmi ses axes la thématique du passage. Le présent colloque, qui se veut transdisciplinaire et ouvert à toutes les aires géographiques, entend décliner cette problématique en proposant une réflexion sur la vieillesse, ses enjeux, paradoxes et perspectives.
Dans l’une des plus célèbres tirades de l’œuvre shakespearienne, Jaques évoque les sept étapes qui, pour les Elisabéthains, se succèdent au cours de la vie d’un homme et dépeint la vieillesse comme une déchéance physique et mentale absolue, prélude au néant :
[… ] Last scene of all,
That ends this strange eventful history,
Is second childishness and mere oblivion
Sans teeth, sans eyes, sans taste, sans everything.
As You Like It. II. vii. 163-166
Le discours du personnage, qui incarne certes la mélancolie, est fondé sur une conception de la vieillesse largement partagée dans la culture occidentale (P. Thane, The Long History of Old Age). En effet, l’Encyclopedia Universalis décrit cette période en des termes sensiblement identiques, comme le «[d]ernier âge de la vie se traduisant par la diminution de toutes les activités» et le Grand Robert de la langue française de préciser «[d]ernière période de la vie humaine normale, qui succède à la maturité, caractérisée par un affaiblissement global des fonctions physiologiques et des facultés mentales et par des modifications atrophiques des tissus et des organes». Ces définitions liminaires donnent une vision linéaire de l’existence, la décrivent comme un enchaînement continu d’étapes vers un déclin inéluctable, et suggèrent une évolution sans ascension possible vers un accomplissement de l’être humain. Néanmoins, cette conception de la vieillesse simplifie un processus qui s’avère plus complexe quel que soit l’angle d’approche scientifique choisi. Si la mort vient mettre un terme à la vieillesse, dans une «vie humaine normale» (c’est-à-dire conforme à la longévité moyenne d’un homme ou d’une femme dans un environnement donné) et permet ainsi d’en déterminer l’aboutissement, il est en revanche beaucoup plus difficile d’en identifier le commencement et d’en caractériser le déroulement. En effet, le découpage entre maturité, perçue comme un passage positif du temps permettant d’atteindre une plénitude des capacités intellectuelles (N. Delbanco, Lastingness, The Art of Aging), et vieillesse résulte aussi d’un construit social en évolution (H. Hazan, Old Age: Constructions and Deconstructions). Dans quelle mesure le grand âge s’envisage-t-il comme le prolongement d’un processus où les individus, forts de l’expérience qu’ils ont acquise, exercent leur libre arbitre et leur esprit critique avec sagesse ou encore conquièrent une totale liberté, dont les manifestations confinent parfois à l’absurde (L. Carrington, The Hearing Trumpet) ? Ou bien au contraire le concept de maturité est-il condamné à disparaître au profit du culte de la jeunesse (O. Wilde, The Portrait of Dorian Gray) ? Comment l’allongement régulier de l’espérance de vie (C.H. Friedman & L.R. Martin, The Longevity Project), qui a conduit le quatrième âge à succéder au troisième âge, change-t-il la donne et pose-t-il le problème de la dégénérescence et de sa gestion ?
Si le salarié de cinquante ans est d’emblée perçu comme âgé, la notion de vieillesse est donc, à l’évidence, avant tout affaire de représentations et implique des choix d’ordre idéologique, scientifique etsociopolitique (J.A. Vincent, Politics, Power and Old Age), qui s’expriment souvent sur le mode du paradoxe, et ce quelles que soient les cultures. A titre d’exemple, le chômeur de plus de cinquante ans est jugé inapte au travail dans l’ensemble des sociétés industrialisées, mais dans le même temps il voit l’âge de la retraite reculer. En outre, les soixante-cinq ans et plus s’inscrivent dans des liens intergénérationnels complexes, qui se transforment au gré des modifications des structures sociales et familiales. Si la prédominance de la cellule nucléaire a favorisé, à partir des années soixante, leur mise à l’écart, les retraités se voient aujourd’hui assignés de nouveaux rôles en raison des évolutions démographiques, économiques et sociologiques. Face à une population vieillissante, destinée à croître, les sociétés sont tenues de garantir des adaptations pour répondre à l’émergence d’un nouveau paysage humain, d’inventer des solutions, d’élaborer des politiques, et d’organiser de nouveaux modes de vie. Le présent colloque a pour objet d’envisager ces évolutions selon une perspective croisée, qui allie dimensions civilisationnelle et littéraire et qui s’articulera autour de trois axes principaux. Le premier s’intéressera à l’image de la vieillesse, perçue tantôt comme un âge mûr prolongé presque indéfiniment, tantôt comme un état auquel il est impératif de se soustraire, à travers notamment le mythe de l’éternelle jeunesse. Il permettra d’aborder les questions de la norme esthétique, du modèle social, du jeunisme, du rôle des médias, ou encore du genre (D. Looser, Women Writers and Old Age in Great Britain 1750-1850; A. Blaikie, Aging and Popular Culture). Le deuxième considérera les conséquences de la déchéance physique et mentale propre à la vieillesse. Il conduira à s’interroger sur la dépendance, la ségrégation, l’exclusion, le rejet, dont l’euthanasie constitue la forme extrême, dans tous les domaines de la société. (I. Murdoch, Bruno’s Dream; T. Scharf & N.C. Keating, From Exclusion to Inclusion in Old Age: A Global Challenge). Le troisième envisagera le statut du vieillard comme passeur de mémoire. Il pourra s’attacher aux bouleversements des liens familiaux, et en particulier à la question de l’autorité, mais aussi de l’héritage des valeurs sociales, transmises ou imposées. Les tensions qui résultent des relations entre générations ne sont-elles pas l’un des principaux ressorts de la comédie en même temps qu’un révélateur majeur du fonctionnement de la société (J. Vincent, The Futures of Old Age) ?
Contacts:Muriel Cassel: muriel.cassel(a)univ-lyon3.fr
Geneviève Lheureux: gm.lheureu(a)wanadoo.fr
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